mercredi 27 juin 2012

 
« 500 000 enfants au Sénégal sont victimes des pires formes de travail »
LA SITUATION  DEVIENT DE PLUS EN PLUS PREOCCUPANTE.
Dans son bureau sis à Dakar-plateau, le directeur de la protection des droits de l’enfant parle de la situation des enfants au Sénégal. Il donne des chiffres alarmants et revient sur les acquis et les objectifs à atteindre.
Quelle est la situation actuelle des enfants au Sénégal ?
Le Sénégal a ratifié la convention relative aux droits de l’enfance, aujourd’hui nous voyons que c’est une situation assez difficile malgré les efforts qui on été consentis. Une étude de 2007 sur la mendicité des enfants, rien que dans la région de Dakar, révèle 7600 mendiants, dont les 42% viennent de la sous région. En 2006, une étude sur la mobilité et la vulnérabilité des enfants a recensé 70000 enfants. Nous avons aussi ceux qui sont maltraités dans les familles qui fuguent, et qui deviennent souvent des « fakhman ». Il y a aussi ceux que les parents utilisent comme moyen de survie. Dont les bonnes, les petits cireurs, les vendeurs d’eau, et ceux qui ramassent les ordures. Ils y a aussi les jeunes filles et garçons qui sont utilisés dans des réseaux de prostitution. En 2005, une étude a révélé que 500000 enfants au Sénégal sont victimes de pires formes de travail des enfants.
Au Sénégal on a l’impression qu’on parle plus de retrait et de réinsertion des enfants de la rue que de lutte contre le travail des enfants ? C’est comme si c’est normal que les enfants travail tellement cela fait partie du décor…

On a parlé de retrait et réinsertion il y a de cela trois ans. Ces problèmes de vulnérabilité ne doivent pas être seulement liés à la pauvreté, nous sommes aussi confrontés à des problèmes de comportement. Quelle est la perception que nous avons de l’enfant ? Quelle est la place que nous lui accordons au sein de la vie ? Certains parents préfèrent acheter de l’or que de s’acquitter de la scolarité des enfants. On a mis l’accent sur la sensibilisation et le plaidoyer pour un changement de comportement. Des fora ont été organisés on est parti de 6 départements et aujourd’hui on en est à 22 départements. A travers des spots, des affiches nous leur disons : « voilà ce que les textes juridiques disent sur le travail des enfants, c’est interdit ! » Autant de choses que nous faisons avec le réseau des parlementaires pour la population et le développement, les mouvements associatifs, les jeunes, les femmes, les organisations communautaires et on a mis en place dans ces départements les comités techniques de suivi. Le Sénégal est un pays qui a beaucoup de contraintes sociales, culturelles… on ne dénonce pas souvent car on a peur d’être vu d’un mauvais œil. C’est parce qu’on a sensibilisé que les gens commencent à le faire.
Vous sensibilisez depuis plus d’une dizaine d’années, ne pensez vous pas qu’il faut passer à une autre étape. Par exemple sanctionner ?
Je crois qu’à chaque fois qu’il y a des cas de ce genre et que la justice est saisie, il y a sanction. C’est le ministère de la Justice qui sanctionne, ce n’est pas nous. Les lois sont appliquées par la justice, on est plus accès sur la sensibilisation, le plaidoyer et le développement des services de l’enfant.
Mais votre direction est censée protéger les enfants, il faut trouver un mécanisme pour pallier la lâcheté de certaines personnes qui rechignent à dénoncer ce genre de pratique ?
Je donne un exemple : l’article 245 du code pénal parle de la mendicité d’autrui. Aujourd‘hui, il y a lieu de revoir ces textes car nous, on n’a pas la possibilité de poursuivre ces parents en justice.
Il y a certaines choses que l’on doit revoir dans ce cadre juridique. On ne peut pas se lever un beau jour pour dire on va jeter ces enfants en prison ou dans un centre.
Les services que nous mettons en place sont insuffisants car 7600 enfants où peut-on les mettre ? Quand un enfant est pris dans la rue, nous le plaçons dans le centre Ngundi, il a besoin d’être nourri, soigné et aussi d’un accompagnement psychologique, cela demande énormément de moyens.
Et si la famille n’est pas prête pour les accueillir, on ne peut pas le leur imposer. Il n’y a plus l’œil bienveillant sur l’enfant a cause de l’individualisme. On assiste à un effritement du mécanisme de la solidarité, l’Etat essaie d y suppléer mais ce n’est pas évident. Ceux qui ne sont pas encore victimes et qui sont dans des situations de risque, il faut sensibiliser les parents pour qu’ils comprennent qu’on ne peut pas mettre un enfant au monde pour le laisser dans la rue. Nous avons pour objectif de dire à tout le monde : « arrêtez la maltraitance des enfants ! » un soulèvement national pour dire stop au travail des enfants. Pour cela, nous développons des stratégies pour financer des activités génératrices de revenus. En 2009, nous avons financé 43 micros projets à travers le Sénégal, avec 8000 enfants identifiables et pris en charge par ces projets.
Nous avons aussi pris 102 enfants talibés (des enfants exploités soumis au travail et a la mendicités par leur marabout), que nous avons retournés à Niakhéne dans la région de Kolda et à Malem Hodar dans la région de Kaffrine. Ces enfants, aujourd’hui, on les a testés et depuis deux ans, ils ne sont pas retournés dans la rue. On a mis leur maître coranique sous contrôle du comité villageois, et des activités génératrices de revenu à leurs parents qui leur permettent de rester dans leur foyer. Nous avons construit un centre de retrait et de réinsertion de jeunes filles qui travaillaient comme bonnes, à Fatick. Elles sont au nombre de 100. Ce centre existe en Casamance, A Saint Louis. A Jaol, nous avons récupéré les enfants qui étaient dans les « tann » et que leurs parents utilisaient comme moyen de survie, ils sont au nombre de 100 aussi, aujourd’hui scolarisés et nous les prenons en charge entièrement. En 2010 on a appuyé 58 daaras qui acceptent de ne pas faire mendier les enfants. Il reste beaucoup à faire, mais il faut convaincre par les résultats et les actions, et non pas se plaindre pour dire qu’on n’a pas les moyens.