« 500
000 enfants au Sénégal sont victimes des pires formes de travail »
LA SITUATION DEVIENT DE PLUS EN PLUS PREOCCUPANTE.
Dans son bureau sis à Dakar-plateau, le directeur de la protection
des droits de l’enfant parle de la situation des enfants au Sénégal. Il donne
des chiffres alarmants et revient sur les acquis et les objectifs à atteindre.
Quelle est la situation
actuelle des enfants au Sénégal ?
Le
Sénégal a ratifié la convention relative aux droits de l’enfance, aujourd’hui
nous voyons que c’est une situation assez difficile malgré les efforts qui on
été consentis. Une étude de 2007 sur la mendicité des enfants, rien que dans la
région de Dakar, révèle 7600 mendiants, dont les 42% viennent de la sous
région. En 2006, une étude sur la mobilité et la vulnérabilité des enfants a
recensé 70000 enfants. Nous avons aussi ceux qui sont maltraités dans les
familles qui fuguent, et qui deviennent souvent des « fakhman ». Il y
a aussi ceux que les parents utilisent comme moyen de survie. Dont les bonnes,
les petits cireurs, les vendeurs d’eau, et ceux qui ramassent les ordures. Ils
y a aussi les jeunes filles et garçons qui sont utilisés dans des réseaux de
prostitution. En 2005, une étude a révélé que 500000 enfants au Sénégal sont
victimes de pires formes de travail des enfants.
Au Sénégal on a l’impression
qu’on parle plus de retrait et de réinsertion des enfants de la rue que de
lutte contre le travail des enfants ? C’est comme si c’est normal que les
enfants travail tellement cela fait partie du décor…
On a
parlé de retrait et réinsertion il y a de cela trois ans. Ces problèmes de
vulnérabilité ne doivent pas être seulement liés à la pauvreté, nous sommes
aussi confrontés à des problèmes de comportement. Quelle est la perception que
nous avons de l’enfant ? Quelle est la place que nous lui accordons au
sein de la vie ? Certains parents préfèrent acheter de l’or que de
s’acquitter de la scolarité des enfants. On a mis l’accent sur la
sensibilisation et le plaidoyer pour un changement de comportement. Des fora
ont été organisés on est parti de 6 départements et aujourd’hui on en est à 22
départements. A travers des spots, des affiches nous leur disons :
« voilà ce que les textes juridiques disent sur le travail des enfants,
c’est interdit ! » Autant de choses que nous faisons avec le réseau
des parlementaires pour la population et le développement, les mouvements
associatifs, les jeunes, les femmes, les organisations communautaires et on a
mis en place dans ces départements les comités techniques de suivi. Le Sénégal
est un pays qui a beaucoup de contraintes sociales, culturelles… on ne dénonce
pas souvent car on a peur d’être vu d’un mauvais œil. C’est parce qu’on a
sensibilisé que les gens commencent à le faire.
Vous sensibilisez depuis
plus d’une dizaine d’années, ne pensez vous pas qu’il faut passer à une autre
étape. Par exemple sanctionner ?
Je crois
qu’à chaque fois qu’il y a des cas de ce genre et que la justice est saisie, il
y a sanction. C’est le ministère de la Justice qui sanctionne, ce n’est pas
nous. Les lois sont appliquées par la justice, on est plus accès sur la
sensibilisation, le plaidoyer et le développement des services de l’enfant.
Mais votre direction est
censée protéger les enfants, il faut trouver un mécanisme pour pallier la
lâcheté de certaines personnes qui rechignent à dénoncer ce genre de
pratique ?
Je donne un exemple :
l’article 245 du code pénal parle de la mendicité d’autrui. Aujourd‘hui, il y a
lieu de revoir ces textes car nous, on n’a pas la possibilité de poursuivre ces
parents en justice.
Il y a
certaines choses que l’on doit revoir dans ce cadre juridique. On ne peut pas
se lever un beau jour pour dire on va jeter ces enfants en prison ou dans un
centre.
Les
services que nous mettons en place sont insuffisants car 7600 enfants où
peut-on les mettre ? Quand un enfant est pris dans la rue, nous le plaçons
dans le centre Ngundi, il a besoin d’être nourri, soigné et aussi d’un
accompagnement psychologique, cela demande énormément de moyens.
Et si la
famille n’est pas prête pour les accueillir, on ne peut pas le leur imposer. Il
n’y a plus l’œil bienveillant sur l’enfant a cause de l’individualisme. On
assiste à un effritement du mécanisme de la solidarité, l’Etat essaie d y
suppléer mais ce n’est pas évident. Ceux qui ne sont pas encore victimes et qui
sont dans des situations de risque, il faut sensibiliser les parents pour
qu’ils comprennent qu’on ne peut pas mettre un enfant au monde pour le laisser
dans la rue. Nous avons pour objectif de dire à tout le monde :
« arrêtez la maltraitance des enfants ! » un soulèvement national
pour dire stop au travail des enfants. Pour cela, nous développons des
stratégies pour financer des activités génératrices de revenus. En 2009, nous
avons financé 43 micros projets à travers le Sénégal, avec 8000 enfants
identifiables et pris en charge par ces projets.
Nous
avons aussi pris 102 enfants talibés (des enfants exploités soumis au travail
et a la mendicités par leur marabout), que nous avons retournés à Niakhéne dans
la région de Kolda et à Malem Hodar dans la région de Kaffrine. Ces enfants, aujourd’hui,
on les a testés et depuis deux ans, ils ne sont pas retournés dans la rue. On a
mis leur maître coranique sous contrôle du comité villageois, et des activités
génératrices de revenu à leurs parents qui leur permettent de rester dans leur
foyer. Nous avons construit un centre de retrait et de réinsertion de jeunes
filles qui travaillaient comme bonnes, à Fatick. Elles sont au nombre de 100.
Ce centre existe en Casamance, A Saint Louis. A Jaol, nous avons récupéré les
enfants qui étaient dans les « tann » et que leurs parents
utilisaient comme moyen de survie, ils sont au nombre de 100 aussi, aujourd’hui
scolarisés et nous les prenons en charge entièrement. En 2010 on a appuyé 58
daaras qui acceptent de ne pas faire mendier les enfants. Il reste beaucoup à
faire, mais il faut convaincre par les résultats et les actions, et non pas se
plaindre pour dire qu’on n’a pas les moyens.